Les libéraux, tout comme les partisans de Bush, sont des fauteurs de guerre et des briseurs de grève.

Le scandale qui a abouti à la mise en accusation de Lewis Libby, assistant du vice-président Dick Cheney, ne constitue pas une nouveauté dans l’histoire politique des Etats-Unis. Dans le passé, des luttes au sein du grand patronat pour déterminer la meilleure façon d’exercer le pouvoir de l’Etat dans l’intérêt de leur classe ont eu pour résultat une guerre civile et l’assassinat ou la mise en accusation de présidents. Aujourd’hui, les dirigeants risquent aussi gros que jamais, et nous devons nous attendre à ce que leurs luttes intestines deviennent de plus en plus exacerbées. Il y va pour eux de la survie de l’empire des Etats-Unis. Les travailleurs doivent éviter de tomber dans le piège mortel qui consiste à s’aligner avec l’une ou l’autre des factions capitalistes. L’intérêt de notre classe, c’est de nous renforcer en tant que classe jusqu’à ce que nous puissions un jour nous emparer du pouvoir et détruire leur système pourri. Une bonne compréhension de la nature et des tenants et aboutissants de la bagarre actuelle autour de la présidence de George W. Bush nous aidera à éviter des illusions fatales et à apprendre la meilleure façon de développer notre force révolutionnaire pendant cette période.

Le scandale grandissant autour du Président Bush, de l’Irak, et de la C.I.A. ne repose pas sur un seul grand mensonge, mais sur trois. Le premier mensonge, c’est que Saddam Hussein ait possédé des armes de destruction massive. Ce mensonge a coûté la vie d’au moins 100 000 Irakiens — une estimation récente évoque même le chiffre de 194 000 Irakiens — ainsi que de plus de 2000 soldats des Etats-Unis. Le deuxième mensonge, c’est que George Bush et ses copains néo-conservateurs aient inventé tous seuls l’histoire des armes de destruction massive, et qu’ils aient prôné l’invasion d’Irak contre l’opposition acharnée des libéraux. Le troisième mensonge affirme que les libéraux veulent mettre fin au carnage en Irak en assainissant la présidence. Et ce sont ces deux derniers mensonges qui sont les plus meurtriers, parce que si l’on y croit, on se retrouve partisan de la faction de la classe dirigeante dont le programme comporte un grand nombre de conflits armés.

La vérité, c’est que les bellicistes les plus bruyants se trouvaient dans l’aile libérale du capitalisme états-unien, et surtout au sein du Council on Foreign Relations, le principal groupe de réflexion impérialiste, et du New York Times, porte-parole principal de l’impérialisme. En 2000, le Council on Foreign Rlations a publié un livre écrit par son expert ès diplomatie, l’ancien inspecteur d’armes à l’ONU, Richard Butler. Ce livre, « The Greatest Threat » (« La Plus Grande Menace »), commence ainsi : « Les armes de destruction massive — nucléaires, chimiques, biologiques — représentent la plus grande menace à la vie sur cette planète. En ce qui concerne ces armes, le défi le plus diabolique et le plus déterminé est celui qu’a lancé le dictateur irakien, Saddam Hussein. » Et une journaliste du New York Times, Judith Miller, a écrit article sur article — articles que le New York Times a soutenu par des prises de position de sa rédaction — « démontrant » l’existence en Irak d’armes de destruction massive.

Le vice-président Al Gore, lors de sa candidature à la présidence en 2000, a fait de « la nécessité de changer de régime à Bagdad » un point central de son programme. Parallèlement, le Democratic Leadership Council, qui était alors la cellule de réflexion d’Al Gore et du Président Bill Clinton, a publié des manifestes avec des titres comme : « Le bon moment pour l’invasion » (« When to Go In »). En février 2003, devant l’ONU, alors que les Etats-Unis étaient à la recherche d’alliés pour l’invasion de l’Irak, la coqueluche de la gauche réformiste, Colin Powell, a répété comme un perroquet les mensonges proférés par Richard Butler et Judith Miller. Un mois auparavant, le Council on Foreign Relations avait déjà préparé le plan d’occupation de l’Irak, dans un rapport qui avait pour titre « Les principes directeurs de la politique américaine en Irak d’après-guerre. » Ce document donne les grandes lignes à suivre dans tous les domaines, du gouvernement à installer en Irak jusqu’à la disposition des énormes richesses pétrolières. Et c’était grâce au président libéral Bill Clinton que les forces états-uniennes ont pu envahir un Irak déjà affaibli par des années de bombardements et de sanctions.

Aujourd’hui, cependant, alors que le nombre de morts et de blessés états-uniens se multiplie, et que le flux de pétrole irakien est presque arrêté, ce sont les libéraux les plus responsables du désastre qui cherchent à faire porter le chapeau exclusivement par la bande à Bush. L’un des directeurs du Council on Foreign Relations, Fareed Zakaria, a écrit dans le New York Times du 30 octobre 2005 que « Quelques néo-conservateurs, dont le plus en vue est Paul Wolfowitz, avaient cru depuis longtemps qu’évincer Saddam Hussein ouvrirait la voie à une grande réorganisation du Moyen Orient. »

Dans le magazine New Yorker du 31 octobre 2005, le criminel de guerre et membre du Council on Foreign Relations Brent Scowcroft, conseiller de sécurité nationale lors de la présidence de George Bush père, à l’époque du premier massacre irakien, a rappelé au monde son article « N’attaquez pas Saddam », paru dans le Wall Street Journal en août 2002. Comme d’autres stratèges de la faction dominante de la classe dirigeante, Scowcroft pensait que la coterie Bush n’avait pas employé suffisamment de soldats dans l’invasion de l’Irak. Le Council on Foreign Relations avait recommandé l’ajournement de l’invasion jusqu’à ce que l’on puisse réunir une force plus importante. Cependant, ce même Council on Foreign Relations avait loué le Président Georges W. Bush d’avoir « poursuivi le seul alternatif réaliste » (CFR Publications, le 13 mars 2003). Les chroniqueurs gauchisants Maureen Dowd et Frank Rich, qui sont des « tireurs d’élite » que le New York Times emploient pour attaquer George Bush, s’amusent comme des fous à récrire l’histoire récente. Commentant la pagaille engendrée par le scandale Cheney-Libby, Maureen Dowd écrit : « l’équipe Bush s’est battu en traître afin de protéger une guerre dont la justification est une pure fantaisie » (le 29 octobre 2005). Frank Rich prend pour cible le sous-secrétaire de la défense et néo-conservateur Doug Feith, « dont l’opération de renseignements dévoyée ... a fourni au vice-président les mauvaises informations qui ont servi à embobiner le pays entier » (le 30 octobre 2005). En réalité, la fantaisie qui a inspiré la guerre, c’est celle des dirigeants libéraux, qui rêvent de mettre la main sur les six millions de barils de pétrole que l’Irak peut produire, ainsi que leur rêve d’établir de manière permanente la suprématie militaire états-unienne sur tout le Moyen Orient.

En même temps que Frank Rich lui-même fournit de la désinformation sur les causes de la guerre, il fait des allusions aux véritables raisons des attaques des membres de la classe dirigeantes contre Bush et ses copains. C’est parce qu’ils ont « bousillé la guerre en Irak », c’est-à-dire qu’ils ne l’ont pas gagnée de manière décisive ni obtenu le contrôle des champs pétrolifères. Frank Rich critique aussi « l’ineptie totale » du ministère de la sécurité de la patrie (Homeland Security department). Les patrons ont besoin d’une machine d’état policier bien plus efficace et d’une plus grande portée que les mesures de sécurité que le Président George Bush a imposés dans les aéroports.

Les libéraux ont choisi un chemin bordé de bien plus de morts que Bush et son gang peuvent s’imaginer. Le Brookings Institute, un groupe de réflexion libérale, et le Democratic Leadership Council ont fourni une vue d’ensemble des défis auxquels les Etats-Unis sont confrontés. Ils reprochent au Président Bush de ne pas avoir préparé la nation à y faire face. Lors d’une déclaration devant le Congrès le 26 octobre, Michael O’Hanlon, membre du Brookings Institute, a débité à une allure vertigineuse la liste des « scénarios plausibles » d’une intervention militaire états-unienne à court terme : Défense de Taiwan contre la Chine, défense de la Corée du Sud contre la Corée du Nord, renversement d’un gouvernement islamique installé par coup d’état au Pakistan ou en Arabie Saoudite, opposition à une prise de contrôle iranien (soutenue par la Chine) du pétrole du Golfe persique, soutien de nations stratégiques tels l’Indonésie, le Nigeria, le Congo, etc. Certaines de ces opérations exigeraient une augmentation rapide des effectifs militaires, jusqu’à trois ou quatre fois leur niveau en temps normal, et nécessiteraient « un changement radical de politique et la mobilisation totale de la National Guard et des réserves — voire peut-être l’institution d’une forme de conscription militaire. » Le Démocratic Leadership Council demande une militarisation fasciste de la société afin de sortir l’impérialisme états-unien de l’embarras. Ce serait une erreur politique grave que de jubiler à la déconfiture de George Bush et de sa coterie. Ce serait applaudir les libéraux fauteurs de guerre. Les libéraux restent le gang de meurtriers le plus dangereux, bien qu’ils cherchent à cacher cette vérité.